Depuis plus d’une dizaine d’années, Yao Qingmei a développé avec constance un corpus d’œuvres qui naviguent entre la performance et la vidéo, soulignant les mouvements et dynamiques des activités humaines. Ces mouvements, qu’elle provoque ou encourage par ses interventions pour les soumettre à une observation aiguisée, sont invariablement chargés de l’énergie que dégagent les corps vivants, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils sont placés.
Pour sa première exposition personnelle dans une institution muséale en Chine, Yao Qingmei, nourrit ses questionnements sur le corps, sa présence et ses ressources, de l’expérience tirée de trois ans de pandémie. Confrontée à la fermeture des frontières du pays, mais également à la multiplication des barrières et restrictions qui envahirent la vie quotidienne, en Chine de façon plus massive et plus prolongée qu’ailleurs, l’artiste présente un ensemble de nouvelles œuvres qui mêlent la réalité et la fiction, la narration et la contemplation, dans une joyeuse méditation sur la destinée humaine.
Les neuf vidéos réunies dans l’exposition, tournées à Paris où l’artiste réside, sont peuplées de personnages qui sont d’une façon ou d’une autre aux prises avec un environnement contraint, dont la banalité totale verse dangereusement vers l’absurde, quand ils n’y sont pas irrémédiablement relégués. Qu’il s’agisse d’une obscurité mystérieuse, dont émerge uniquement la lumière froide de l’écran d’un smartphone, de chambres d’hôtel meublées de façon impersonnelle, d’un bureau open space ou même d’un simple lit, chacun de ces espaces impose brutalement ses contraintes aux différents protagonistes. Ceux-ci se retrouvent aux prises avec une adversité physique et psychologique face à laquelle ils n’ont d’autre moyen que de déployer des ressources inhabituelles, qu’ils ont pourtant l’air de mobiliser de la façon la plus naturelle et spontanée qui soit. Au fil de tâtonnements, de négociations, de renoncements mais aussi d’infimes victoires, chacun sort dignement de l’épreuve qui lui est imposée.
L’humour caustique qui traverse ces œuvres évoque le registre de l’idiotie décrit par Clément Rosset dans son ouvrage Le réel : traité de l’idiotie, où les ressorts du comique de répétition, de l’absurde et du trivial sont exposés comme les reflets déformés de la toute- puissance de la réalité, sur laquelle se brisent inévitablement les représentations humaines. Mais comme le pointe Rosset, et Yao Qingmei est sans doute de cet avis, c’est par la confrontation avec le réel et non en le niant ou en le travestissant de quelque manière que ce soit que l’être humain conquiert sa liberté et accède à la source intérieure de la joie. L’omniprésence de la danse et l’hommage rendu par l’artiste aux singularités individuelles chargent ces œuvres de l’énergie indomptables des corps habités par la pulsion de vie.
L’espace de l’exposition, fragmenté en petites pièces reliées entre elles selon une logique joyeusement erratique, où les visiteurs vont de surprise en surprise mais ne sont pas à l’abri d’une certaine exaspération, reflète l’atmosphère étrange des œuvres qui y sont exposées. Il agit comme le miroir déformant d’une époque dont les travers et les excès pèsent sur l’ individu, mais n’ont pas de prise sur son for intérieur.